Contrôleur aérien
“Central aéroport Haneda, j’écoute”
Le pilote
“Appareil Gulfstream 550, départ de Beyrouth, nous demandons autorisation d’atterrir;”
Contrôleur aérien
“Autorisation accordée.”
Un inspecteur
“Monsieur Ghosn, vous êtes en état d’arrestation. Tendez vos mains s’il vous plaît”
Carlos Ghosn
“Mais je quoi… vous savez qui je suis?
Appelez Nissan et mes avocats.”
À peine arrivé à l’aéroport de Tokyo le 19 novembre 2018, Carlos Ghosn est arrêté à 16h35 à la sortie de son jet privé.
Je vous raconte aujourd’hui l’histoire d’un homme qui, en voulant toujours plus, a été stoppé en pleine course : Carlos Ghosn. Dans ce 2e épisode, Carlos découvre avec stupeur un vrai coup d’état orchestré dans son dos.
Pour lire/écouter le premier épisode => Carlos Ghosn: le sauveur de Nissan – Ep 1
Table des matières
Un tourbillon médiatique et le procès de la cupidité
Épilogue : un système judiciaire implacable

Le début de l’enquête
Alors qu’il foule le tapis rouge du festival de Cannes au bras de Carole en 2018, un lanceur d’alerte contacte Nissan au même moment car il soupçonne Carlos d’avoir falsifié des comptes et dissimulé la moitié de ses revenus au fisc japonais. L’enquête est menée par Hidetoshi Imazu, un auditeur interne à Nissan.
Comme par hasard, cette investigation commence peu après l’annonce du projet de fusion entre Nissan et Renault. Les gros titres pleuvent dans les journaux :
Renault-Nissan: la trahison de Carlos Ghosn
Carlos, le chien de chasse d’Emmanuel Macron
L’homme de Renault qui utilise Nissan
Dès le mois de mai 2018, la presse japonaise qui jusque-là encensait Carlos, le descend en flèche.
Mais, trop occupé à se croire au sommet, le cost killer ne voit pas la menace. Il continue d’enchaîner les présentations et conférences de presse où il expose ses projets pour l’électrique.
Carlos Ghosn
“Mesdames, Messieurs les actionnaires, Monsieur le directeur Général, merci d’être réunis aujourd’hui pour l’Assemblée Générale du groupe Nissan. Nous avons une heure, pas une minute de plus.
Monsieur Imazu, je vous prie.”
Hidetoshi Imazu
“Le rapport annuel est conforme aux lois et règlements en vigueur. Il n’existe pas d’éléments témoignant d’éventuelles infractions. La réunion peut donc commencer.”
Le 26 juin 2018 à Yokohama, l’assemblée générale ou plutôt le bal des traîtres, débute dans une ambiance tendue. Hidetoshi Imazu est terrifié, il doit rendre compte de chaque faits et gestes, de chaque mots de Carlos Ghosn. Nommé auditeur statutaire dans l’enquête contre Carlos, il est tenu au secret le plus total. Loin de lui l’idée d’avertir Carlos pour faire avancer l’enquête, le dirigeant est tellement puissant chez Nissan qu’il risquerait de couper court à cette investigation.
Tous ceux qui entourent Carlos ce jour-là lui tourneront le dos cinq mois plus tard.
À partir du mois d’octobre Hari Nada, un proche de Carlos et patron des participations chez Nissan, contacte les avocats de la filiale Nissan au Brésil. Contre un accord de remise de peine avec la justice japonaise, il doit, dans le dos de Carlos, regrouper des documents sur les différentes propriétés de ce dernier.
Après Rio, Beyrouth. Il répète le même manège. Sous couvert d’une soi-disant enquête de sécurité, il cherche des factures, questionne, demande des documents.
Puis ce sera bientôt le tour de Hiroto Saikawa, le directeur général, d’achever le Tycoon.

L’arrestation de Carlos Ghosn
Maya (fille de Carlos)
“Allô Carole, oui c’est Maya. J’ai pas de nouvelles de papa. ça fait déjà deux heures qu’il devrait être à l’appart. Il est jamais en retard et il a pas laissé de message”
Carole
“Ne t’inquiète pas Maya, va au restaurant où il t’a donné rendez-vous. Son avion a peut-être du retard. J’essaie encore d’appeler Greg, il est avec ton père.”
Depuis son dernier message « En route pour Tokyo. Je vous aime ! », sur le groupe familial Game of Ghosn sur WhatsApp, Carlos ne donne plus signe de vie.
Son Gulfstream s’est à peine déposé sur le tarmac de l’aéroport de Tokyo, qu’il est arrêté. Son téléphone et son ordinateur lui sont confisqués. Il ne peut pas prévenir sa famille.
Le procureur de Tokyo
“Monsieur Ghosn, je suis le procureur de Tokyo. Vous avez un problème de visa. Vous êtes en état d’arrestation. Vous devez me suivre.”
Carlos Ghosn
“Mais pourquoi? Laissez-moi prévenir ma famille, appeler mes avocats. Contactez le siège de Nissan, il doit y avoir un malentendu”
Mais le procureur ne répond à aucune question. D’ailleurs, il n’en pose pas non plus.
Carlos Ghosn ne connaîtra pas le motif de son arrestation pendant 48h. Pendant ce temps, il n’a pas le droit de parler.
Hiroto Saikawa et Hari Nada ne répondent toujours pas au téléphone.
Finalement, la nouvelle tombe, il est incarcéré pour malversations financières présumées. Le président de Nissan aurait sous-évalué de 5 milliards de yens sa rémunération, qui s’élevait à près de 10 milliards. Au Japon, un des systèmes carcéraux les plus durs au monde avec un taux de condamnation de plus de 99%, Carlos risque jusqu’à quinze ans de prison.
Le 21 novembre, il reçoit enfin sa première visite. Laurent Pic, l’ambassadeur français au Japon, a eu le droit de le rencontrer au nom de la protection consulaire.
Carlos
“Monsieur Pic, dites à Nissan d’envoyer un avocat, une armée d’avocats même s’il le faut. Je paierai, mais sortez-moi de là.”
Laurent Pic
“Monsieur Ghosn,
Je suis peiné de vous apprendre que Nissan ne fera rien pour vous. Ils ont même participé activement à votre inculpation.”
Puis une autre mauvaise nouvelle tombe. Sa garde à vue est prolongée à 22 jours. Il est incarcéré au centre de détention Kosuge, une corde autour de la taille, menotté. Fini les costumes sur mesure, dorénavant il sera habillé d’une tenue verte de prisonnier.
Dans sa petite cellule d’à peine 7m2, exclu des repas au réfectoire, Carlos est réduit au silence. Celui qu’on surnommait “seven eleven”, celui dont chaque minute était programmée un an à l’avance, est confronté au temps qui passe. Lentement, très lentement.

Un tourbillon médiatique et le procès de la cupidité
La nouvelle de son arrestation n’est pas rendue publique de suite. Pendant que Maya fait les cents pas en attendant son père dans leur appartement de Tokyo, la rumeur commence à se répandre.
Emmanuel Macron et Bruno Le Maire sont en visite d’Etat à Bruxelles lorsqu’ils apprennent l’arrestation de Ghosn.
C’est une conférence de presse organisée par Nissan le 19 novembre à 22 heures qui annonce la situation: leur président a trompé les marchés financiers sur le montant de sa rémunération, il est coupable de malversation.
Renault demande plus d’information, l’incompréhension est totale y compris au sommet de l’Etat français. Les réponses du Japon restent floues.
Le 22 novembre, Hiroto Saikawa le directeur général de Nissan annonce à la télévision la révocation de Carlos Ghosn de ses fonctions. Puis le 26 novembre c’est au tour de Mitsubishi d’en faire de même.
Puis petit à petit, c’est l’étalage du train de vie de Carlos qui fait les choux gras de la presse. Les journaux font le procès d’un homme présenté comme cupide et indécent.
Journaliste
“Mais comment Nissan a pu accepter de financer villa à Beyrouth ou penthouse à Rio? Carlos Ghosn aurait utilisé Nissan à des fins personnelles. Pour rappel, le PDG de Renault-Nissan recevait un salaire de 15 millions par mois »
On cherche maintenant à savoir comment Carlos pouvait gagner autant d’argent. On commence à se dire que pour gagner toujours plus, il a forcément enfreint la loi… Alors que la loi japonaise impose la transparence, depuis 2010, Carlos Ghosn rendait de moins en moins de compte.
Le 9 mars 2014 pour les soi-disant 15 ans de l’Alliance Renault-Nissan, le couple Ghosn avait convié nombre de leurs amis à festoyer, aux frais de Nissan.
Mais lors de son procès, les images du luxe tapageur de cette soirée ressortent et cristallisent la figure de Ghosn comme un jouisseur de privilèges. Et après avoir épluché les frais de réception et les évènements organisés par le couple pour le compte de Nissan, il n’y a plus de doute. Au regard des invités, ces frais ne sont pas justifiables. Carlos a utilisé Nissan. On le soupçonne même d’avoir organisé cette fête pour son anniversaire.
En prison, Carlos ronge son frein. Il est mis en examen une première fois le 10 décembre, après vingt-deux jours de garde à vue.
Il n’en peut plus de ne pas pouvoir s’exprimer, ni de parler à Carole et ses enfants. Mais il n’a pas dit son dernier mot…

Épilogue : un système judiciaire implacable
Le Juge
“J’appelle l’accusé Monsieur Carlos Ghosn à se présenter à la barre”
Carlos Ghosn
“Je n’ai qu’un mot: innocent. Je suis innocent
J’ai été accusé à tort et injustement détenu sur la base d’accusations infondées.”
Le 8 janvier 2019, après cinquante jours de silence, l’ex-président de Nissan a enfin le droit de parler publiquement dans la salle du tribunal du district de Tokyo.
Il a beaucoup maigri, le visage fatigué et les cheveux blanchis, il est amené menotté jusqu’à la barre.
Il a beau clamer son innocence, le 11 janvier 2019, il est de nouveau mis en examen pour dissimulation de revenus sur la période 2015/2018 et abus de confiance aggravé. Il risque jusqu’à quinze ans de prison.
Pour Carlos, il est hors de question de croupir en prison en attendant son procès. Mais ça, c’est l’histoire du prochain épisode.
=> Carlos Ghosn : L’évasion – Ep 3

Notes
Le piège – Bertille Bayart (Auteur) Emmanuel Egloff (Auteur) Enquête sur la chute de Carlos Ghosn Paru le 25 septembre 2019 Essai (broché) – Editions Kero
Le fugitif – Régis Arnaud (Auteur) Yann Rousseau (Auteur) Les secrets de Carlos Ghosn Paru le 5 février 2020 Etude (broché) – Editions Stock