Le podcast sur Serge Trigano – Ep 2
La biographie de Serge Trigano – Ep 2
- 2000 : rencontre avec Cyril Aouizerate, un architecte de renom à qui il parle de son idée d’hôtel
- 2001 : création de la société Mama Shelter avec ses fils, Jérémie et Benjamin Trigano, Cyril Aouizerate et Philippe Starck et Roland Castro
- 2003 : le projet, Mama Shelter est financé grâce à la Caisse d’épargne pour 25 millions d’euros.
- 2008 : ouverture du premier hôtel, Mama Shelter à Bagnolet à Paris. L’hôtel est un succès dès sa première année avec plus de 85% de taux de remplissage
- 2014 : Accor rentre dans le capital de Mama Shelter
- 2021 : Accor rachète le capital de Mama Shelter et Serge Trigano se retire de la gestion opérationnelle
- 2022 : Serge Trigano travaille sur un nouveau concept d’hôtel et de résidence de luxe au Portugal
L’histoire de Serge Trigano résumée – Ep 2
Serge Trigano a été viré du Club Med, l’entreprise créée par son père en 1997. Il se sent humilié et exclu de l’écosystème parisien. Mais il ne compte pas s’arrêter là. Il relance un projet de village vacances qui échoue après 3 ans de boulot. Il n’a plus d’argent mais des idées et un réseau de bons amis.
Avec ses fils, Jérémie et Benjamin Trigano puis Cyril Aouizerate, un architecte et urbaniste, il veut lancer un nouveau concept d’hôtel, le Mama Shelter. Un hôtel avec une ambiance chaleureuse, un restaurant soigné, et tout un tas d’innovations qui collent aux changements du tourisme. Des séjours plus courts et plus nombreux.
Mais personne ne trouve ce projet intéressant et en particulier, les investisseurs et les banquiers. Il essuie plus de 80 refus pour ce projet à 25 millions d’euros. Puis c’est son ami Laurent Choain qui pousse le projet en interne à la Caisse d’Épargne auprès du président, Charles Milhaud.
L’arrivée d’un investisseur, Michel Reybier finalise le financement du projet.
Le 5 septembre 2008, le premier Mama Shelter ouvre ses portes Rue de Bagnolet à Paris. C’est un succès dès le 1er jour. Serge Trigano a inventé un nouveau concept d’hôtellerie. En 2014, Accor prend une participation dans Mama Shelter. Mama Shelter, c’est désormais plus de 800 salariés pour un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros avec des hôtels dans plus de 15 villes dans le monde entier. Serge peut partir la tête haute.
Serge Trigano : le succès du Mama Shelter – Ep 2
4 septembre 2008, Rue de Bagnolet, Paris.
Il est minuit quand Philippe Starck, le designer star, débarque dans les locaux encore en travaux du premier Mama Shelter.
Malgré l’heure tardive, les employés et les ouvriers continuent de s’affairer pour que tout soit prêt pour le lendemain.
Philippe n’en a cure, il veut être sûr que SON Mama Shelter soit parfait pour l’inauguration.
Il croise Serge Trigano dans une des allées de l’hôtel.
Philippe
“Serge, ils ont oublié de mettre ma lampe “visage” dans l’entrée et il manque une décoration sur les plans de table !!”
Serge
“Ne t’inquiète pas Philippe, on va s’en occuper !”
Philippe
“Non, mais… c’est pas possible ! Regarde cette peinture, elle est à l’envers.
Bon, je dois bien admettre que le travail qui a été fait est vraiment incroyable…”
Il prend un cadre qu’il remet en place.
Demain, c’est le grand jour pour tout le monde… et en particulier pour Serge Trigano qui n’a rien lancé depuis 1997 et son départ du Club Med.
Il a la boule au ventre. Tout doit être parfait !
Aujourd’hui je vous emmène sur les traces de Serge Trigano, le fils du fondateur du Club Med qui a dû se faire un nom malgré son éviction de l’entreprise de son père. Un nom qu’il se fera avec son propre projet: le Mama Shelter. Dans ce 2e épisode, Serge Trigano n’a plus le choix, son nouveau projet doit réussir ou ça sera la ruine.
Pour lire / écouter le premier épisode => Serge Trigano : viré du Club Med, il enchaîne les échecs – Ep 1
Table des matières
Un hôtel différent : le Mama Shelter
80 investisseurs et banquiers qui disent NON
Un hôtel différent: le Mama Shelter
Paris 2000 – Quartier Latin – Restaurant Le Voltaire
Cyril Aouizerate
“Bon, Serge, tu as un projet à me présenter, c’est ça ?”
Serge
“Cyril, mon projet de village vacances au Maroc tombe à l’eau… je ne sais plus trop quoi faire…Enfin si, j’ai cette idée d’hôtel…”
Cyril
“Ah bon ?”
Serge
“Un hôtel où il ferait bon vivre, un hôtel où l’on irait à l’encontre des pratiques actuelles des hôtels froids et standardisés…un peu comme si j’importais le Club Med dans l’hôtellerie !”
Cyril
“Mais c’est génial ce projet !!!
Tu cherches des associés ? Des compétences ?”
Serge
“Justement… sur l’hôtellerie en milieu urbain, je pense que ton côté urbaniste serait indispensable.”
Les 2 hommes se tapent dans la main.
Cyril Aouizerate vient de participer à la création de Bercy Village et est particulièrement motivé par le projet de Serge.
Avec ses fils, et Cyril, ils se posent tous les 4 pour réfléchir au nom de leur concept.
Et lors d’une soirée arrosée, ils se lancent dans une folle session de brainstorming.
Cyril
“Shelter, j’aimerais avoir ce nom dans le nom… on donne de la protection, de l’ouverture, un moment de partage”
Serge
“Ah oui… moi j’ai envie de Mama comme une mama qui accueille, qui nourrit, qui amène de la chaleur.”
Serge et Cyril
“Mama Shelter !
Mama Shelter !”
Le Mama Shelter, le nom est trouvé mais il subit moqueries et railleries notamment de ceux dont le Mama Shelter va avoir le plus besoin, les banquiers et les investisseurs.
Il faut dire que le concept est tellement original et avant-gardiste qu’il fait peur à tout le monde.
L’hôtel comme lieu de vie
Une fois le nom trouvé, Serge, ses fils et Cyril sont rejoints par Philippe Starck.
Ils veulent affiner leur concept.
Le tourisme est alors à la croisée des chemins.
Avec le développement des 35 heures, et des vols et trains pas chers, les touristes font de plus en plus de voyages de courte durée. Ils peuvent décider une semaine avant, de passer un WE à Marseille, Londres ou Rome.
Le tourisme urbain court est en plein développement et Serge veut en profiter.
Les hôtels de ce début des années 2000 sont standardisés sans âme, la restauration y est insipide, la décoration vieillotte.
La clientèle professionnelle est aussi délaissée… le voyageur pro finit souvent par un plateau repas dans sa chambre. Le tout pour un tarif élevé.
Serge veut changer les choses.
“Et si on créait un un hôtel avec un bar et un restaurant qui sont centraux ? Où les clients seraient chouchoutés et mangeraient au bar plutôt que seuls ? Un hôtel où il serait bon de vivre, de boire un verre, un hôtel ouvert sur son quartier ?”
Le Mama Shelter sera installé dans un quartier populaire et la restauration comme le bar seront au centre du concept. Les chambres ne seront pas très grandes mais simples et fonctionnelles avec une literie de très bonne qualité. Ils mettent des Mac dans les chambres et proposent accès Wifi et programmes coquins à la télé.
Le restaurant aura même une scène musicale avec orchestre et DJ.
Le Club Med dans l’hôtellerie !
Les employés eux, seront recrutés sur leur attitude et peu importe leur expérience dans l’hôtellerie !
Puis le Mama Shelter s’appuie sur internet qui décolle véritablement… ses chambres ne sont réservables que sur le web et Jérémie met en place un système de pricing selon l’offre et la demande, totalement révolutionnaire à l’époque.
Tout est en place pour le projet: un designer de génie, Philippe Starck, 2 gestionnaires et créatifs, les fils Trigano, un architecte/urbaniste… et Serge qui anime le tout.
Après de nombreuses visites, Cyril trouve un site désaffecté rue de Bagnolet, un vieux garage graphé de 5 000 mètres carrés. Serge est sceptique mais l’enthousiasme de Philippe Starck finit par le convaincre.
Pourtant il manque désormais une seule chose : l’argent pour financer ce projet.
C’est la mission de Serge et de Cyril.
Une mission qui s’avère très compliquée.
80 investisseurs et banquiers qui disent NON
Le projet est encore financé par les indemnités du Club de Serge.
Mais depuis le projet raté au Maroc, il n’a plus d’argent et il doit trouver des investisseurs pour monter le Mama Shelter.
Entre la construction et l’aménagement, le Mama Shelter c’est 25 millions d’euros.
Et Serge doit trouver cet argent au plus vite… d’autant que sa situation personnelle financière empire.
Alors qu’il demande à Volkswagen un crédit de 30 000 euros pour changer sa Golf, celui-ci lui est refusé… il est devenu un client à risque !
Serge établit une liste de banquiers et investisseurs croisés pendant sa vie professionnelle.
Il envoie des mails et fait des appels.
Il se prend alors refus sur refus.
Puis un jour en 2002, après une dizaine de refus, il décroche son 1er RDV. Il enfile son costume, saisit sa mallette et y fourre tous ses papiers et notamment les business plan demandés par le banquier.
Il se présente ce jour-là à l’entrée de la Banque, place de la République à Paris. Une secrétaire le fait patienter quelques minutes.
L’hôtesse
“Mr Trigano, Mr Jean va vous recevoir”
Serge pénètre dans un bureau tout vitré et terme et un homme en complet marron le reçoit.
Banquier
“Mr Trigano, j’ai vu votre dossier et j’avais envie de vous rencontrer !
Parlez moi de votre projet, je n’ai pas bien compris.”
Serge
“Merci de me recevoir.
Alors le Mama Shelter, c’est un nouveau concept d’hôtel avec au centre la restauration et l’accueil… et on veut installer notre hôtel dans des quartiers populaires !”
Le banquier
“Un hôtel dans un quartier populaire du 20e ?
Votre projet m’a l’air un peu différent de ce que je vois d’habitude.
Mais vous ne seriez pas intéressé par remonter plutôt un village vacances sur les bords de la Méditerranée ?
C’est votre expertise, non ?”
Serge
“Oui mais non, je pense que Mama Shelter est un nouveau concept qui répond aux besoins d’un monde qui bouge.”
Le banquier fait semblant d’écouter puis lui signifie qu’il va en parler à son comité d’investissement.
Quelques jours plus tard, Serge reçoit un courrier de refus de Mr Jean au motif que le projet ne présente pas les garanties suffisantes.
Serge est alors découragé… il a épuisé toutes ses possibilités. Son échec à la tête du Club Med semble encore le poursuivre.
Puis c’est encore son ami, Laurent Choain, le DRH Groupe Caisse d’épargne, qui lui trouve une sortie. Celui-ci pousse le projet Mama Shelter auprès de son président, Charles Milhaud.
Il faut dire que le Groupe Caisse d’Épargne connait Serge Trigano qui gère leur campus de formation.
Finalement la Caisse d’Épargne accepte de financer le projet avec des garanties.
Si le projet échoue, ce sera la ruine familiale pour plusieurs générations. Mais Serge n’hésite pas, il faut lancer.
Il réussit même à trouver un investisseur, Michel Reybier, spécialisé dans l’hôtellerie de grand luxe qui rentre au capital et garantit les prêts.
Tout est prêt pour le lancement du 1er Mama Shelter, rue de Bagnolet, le 5 septembre 2008.
Inauguration et succès
Quelques jours avant l’ouverture, une journaliste du Nouvel Observateur contacte Serge au téléphone.
Nathalie Bensahel
“Bonjour Mr Trigano !”
Serge
“Bonjour Nathalie, vous allez bien ?”
Nathalie
“J’ai entendu parler de votre projet, le Mama Shelter et je suis curieuse. Je viens demain pour faire une page sur votre projet.”
La journaliste 2 jours avant l’ouverture vient donc Rue Bagnolet. Serge lui montre le concept, le restaurant, le bar et lui fait visiter les chambres.
Elle est ravie.
Au moment du départ, elle lâche:
“Ça va être de la balle !”
Son article dans le journal est dithyrambique et elle parle du retour des Trigano avec un concept original et des artistes au service du projet.
Du cuisinier Alain Senderens, au désigner Philippe Starck et à l’architecte Roland Castro.
Le bouche à oreille fait le reste… Le tout Paris bruisse alors de l’ouverture du Mama Shelter.
Le 5 au matin, les 1er clients arrivent… les commentaires sont à la hauteur de ceux de la journaliste, élogieux voire carrément euphoriques.
Serge Trigano vient de créer un nouveau concept d’hôtellerie.
Le Mama Shelter propose non seulement des chambres à des prix abordables pendant la crise mais propose avant tout une expérience: un hôtel dessiné par un artiste, un chef étoilé aux cuisines et une ambiance chaleureuse.
C’est le carton avec des taux de remplissage souvent supérieurs à 85% et un restaurant qui ne désemplit pas.
Le Mama Shelter gagne de l’argent dès sa première année de fonctionnement.
Puis Serge voit plus grand et lance l’ouverture de Mama Shelter à Marseille, Lyon, Bordeaux, puis Los Angeles.
En 2014, Sébastien Bazin, le PDG d’Accor contacte Serge. Il veut racheter le Mama Shelter et son concept.
Serge valide avec ses enfants puis tape dans la main de Sébastien Bazin. Accor prend 35% de Mama avec une seule promesse: laisser Serge Trigano gérer de façon indépendante.
Malgré ce succès, Serge a un seul regret: que son père n’ait pas pu voir sa réussite.
Épilogue: au nom du père
Gilbert Trigano est mort en 2001 et n’aura donc jamais vu le succès de Serge. Et Serge y pense souvent.
Il garde toujours au fond de lui une amertume de son éviction du Club Med et de la façon dont il a été traité par le microcosme parisien.
Il n’oublie pas.
Il n’oublie pas non plus son père.
Mais il a un succès à son nom, enfin ! Il n’est plus simplement l’héritier de Gilbert. Il s’est fait un prénom.
Mama Shelter est aujourd’hui une marque qui emploie des milliers de personnes pour plus de 100 millions d’euros de chiffres d’affaires avec plus d’une quinzaine d’hôtels dans le monde entier.
Petit à petit, Serge quitte ses fonctions de manager du Mama Shelter et laisse la place au moment où Accor devient actionnaire majoritaire en 2020.
Mais Serge ne s’arrêtera jamais. À plus de 76 ans, il a de nouveaux projets dans le resort de luxe au Portugal.
Et ça, c’est déjà une autre histoire.
Notes
Le livre – Trigano Loves You – Albin Michel
https://fr.wikipedia.org/wiki/Serge_Trigano
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mama_Shelter
https://www.lesechos.fr/2015/11/mama-shelter-des-hotels-pas-comme-les-autres-1230051