Paul Ricard, le bâtisseur: La création d’un empire – Ep 1

Paul Ricard créé en 1932 un empire, l’empire Ricard. D’un simple négociant de vin, il a une vision: faire le meilleur pastis. Il teste et apprend vite. Ce jeune marseillais va tout connaître.

Le podcast sur Paul Ricard – Ep 1

La biographie de Paul Ricard – Ep 1

  • 9 juillet 1909 : Paul Ricard naît à Sainte-Marthe, un quartier de Marseille, en France.
  • Années 1920 : Paul Ricard travaille dans l’entreprise de son père, qui fabrique des boissons anisées.
  • 1932 : Paul Ricard fonde sa propre entreprise de spiritueux et crée la marque de pastis « Ricard ».
  • 1936 : La première campagne publicitaire pour le pastis Ricard est lancée à Lyon.
  • 1940 : La défaite de l’armée française laisse place au régime de Vichy dans la zone libre. Le pastis se fait alors interdire. Paul Ricard se reconvertit dans l’agriculture en prenant possession du domaine de Méjanes, en Camargue

L’histoire résumée de Paul Ricard – Ep 1

Paul Ricard, un jeune marseillais né à Sainte Marthe, a une vision: il veut faire le meilleur pastis. Malgré l’opposition de son père et son peu d’expérience, il teste son pastis. Son père, Joseph Ricard, négociant en vin, finit par l’aider… à contre-cœur. Mais le jeune Paul est persévérant et n’abandonne jamais. 

Il fabrique dans sa chambre avec son frère, Pierre, de l’alcool. Il teste un mélange de fenouil, de graines d’anis, de réglisse et d’eau-de-vie. Puis après 2 lancements ratés, il finit par trouver une formule qui plait. Et avec l’aide de son père, c’est un carton. Les ventes décollent. Ils achètent un terrain à côté de leur maison et y font construire une petite usine. 

250 000 bouteilles sont vendues puis Ricard investit la France entière. Mais en 1937-1938, les mauvaises nouvelles s’accumulent: le père de Paul décède soudainement puis c’est son frère, Pierre. Une nouvelle page s’ouvre. Paul Ricard doit réorganiser l’entreprise et offre des conditions de travail aux salariés inégalées: des actions de l’entreprise et des congés payés de 3 semaines.

Paul Ricard est aussi un artiste qui aime peindre… et il utilise son amour de la peinture pour dessiner des affiches, des objets aux couleurs de Ricard. Les camions de livraison s’affichent aux couleurs bleu et jaune et la dimension marseillaise de Ricard est affirmée.

Mais la guerre met fin à ce succès. L’usine continue de fonctionner avec l’aide de Joséphine, la mère de Paul mais une loi interdit le Pastis. Il faut tout réorganiser. Paul emmène tous ses salariés sur sa propriété en Camargue. Désormais les ouvriers seront des paysans et fabriqueront du riz. Mais pourra-t-il récupérer son usine ?

Paul Ricard, le bâtisseur: La création d’un empire – Ep 1

Paul agite ses bras avec bonne humeur en direction de la charrette à cheval qu’il vient de dépasser. Dans cette auto flambant neuve conduite par son père, il se sent comme un héros au cœur de l’arrière pays Provençal.

Quand il se redresse en regardant la route, son père a déjà bifurqué sur un chemin de terre qui mène à un Mas posé à flanc de colline.

La voiture s’arrête dans un nuage de poussière qui brouille tout aux alentours. 

« Là !  » s’exclame Paul, surexcité en pointant du doigt la forme blanche et fantomatique qui s’approche vers eux. 

Espanet – car c’est lui le sorcier des montagnes – salue avec sa bonhomie rieuse, Paul, son père, sa mère et son frère Pierre.

« La poussière vous aura donné soif rentrez vous désaltérer ! » 

« Espanet, il n’y a pas à dire, ta source donne l’eau la plus claire du pays ! »

« Pardi Joseph, c’est sûr, mais je préfère toujours la purifier avec mon pastis. le choléra n’est jamais très loin ! »

Cinq volumes d’eau plus tard, le silence se fait religieux autour de la table. On déguste le fameux “pastis” un mot qui signifie mélange en provençal.

« Et bien Paul que se passe-t-il ? Que nous vaut cette danse de fada ? »

« Papa, Papa, Papa, moi aussi quand je serais grand je ferais mon propre Pastis ! »

Et la joie de ce dimanche de 1923 résonne comme l’écho annonciateur de ce que deviendra Paul Ricard.

Aujourd’hui, je vous raconte l’histoire d’un entrepreneur profondément moderne et visionnaire. Un récit librement adapté de Paul Ricard, le fabuleux destin d’un enfant de Marseille aux éditions Albin Michel. Dans ce 1er épisode, la naissance de Ricard et la guerre.

Table des matières

Naissance – Un artiste ?

Le début de la carrière de Paul

Test, lancement du pastis Ricard

Un succès foudroyant et 2 tragédies pour Paul

Un nouveau départ et la bataille avec Pernod

La guerre

Épilogue

Naissance – Un artiste ?

11 juin 1909 Marseille

Joséphine enceinte de huit mois pose ses yeux sur son ventre avant de regarder son mari.

Mais ni le bébé ni Joseph ne sont responsables de ces vibrations.

La terre tremble dans le sud de la France, comme elle n’a pas tremblé depuis cinq siècles.

Vaisselle, meubles, tables, tout est sens dessus dessous lorsque la terre arrête enfin de bouger.

Un mois plus tard, le 9 juillet, nait Paul Ricard, l’homme qui toute sa vie se plaira à imaginer que c’est le mouvement de la terre qui l’a mit en action.

En attendant, il naît dans la commune campagnarde de Sainte Marthe sur les hauteurs de Marseille. une bourgade provençale où les champs et la nature ne sont jamais très loin.

Pour Paul, enfant, c’est l’occasion de courir derrière les papillons où de rêver sous les oliviers lorsque la chaleur se fait trop pressante.

Une enfance insouciante avec son frère Pierre, sa mère qui les élève et son père, un négociant en vin en pleine ascension sociale.

1909, la même année que la naissance de Paul, c’est aussi l’arrivée du tram à Sainte Marthe. Avec lui s’ouvre la possibilité pour la famille Ricard de se rendre à Marseille. 

La ville industrieuse où 25% de la population gagne son pain grâce au savon. La ville ouverte sur la méditerranée où se mêle le provençal, le russe, le chinois ou le grec. 

La ville cosmopolite.

La campagne de Sainte Marthe et son bal ou l’activité incessante du vieux port de Marseille, tout plaît à Paul.

Il veut être partout ;  sauf à l’école. 

L’artiste qu’il est déjà s’y ennuie et le futur homme d’action y déprime.

« Paul, Paul, Paul ! Encore un mot de l’école ou tu n’étais pas mercredi dernier ! »

« Maman, c’est vrai mais je m’y ennuie tellement ! »

« Tu n’arriveras à rien dans la vie, à traîner dans la rue ! »

« Mais maman, j’étais au Musée de Longchamps, il y a de si belles peintures ! »

« Mon Dieu, Paul ou que tu aies été, je te demande de retourner à l’école. »

Sur l’injonction de sa mère, Il y retourne, même s’il sait déjà ce qu’il veut. 

Commencer à travailler.

Il finit par convaincre son père qui l’autorise à 17 ans à arrêter l’école s’il vient apprendre un métier auprès de son chef comptable, le capitaine Sensier.

L’homme est aussi doué pour enseigner les arcanes de la comptabilité à Paul que pour lui raconter ses aventures d’ancien marin.

Mais ce qui frappe surtout le jeune homme, c’est l’opiniâtreté de son chef. Amputé de la jambe gauche, il fait chaque jour quatre kilomètres à pied sur ses béquilles pour se rendre au travail.

L’homme semble incarner la devise que l’instituteur de Paul inscrivait sur le tableau noir.

“Nul bien sans peine”

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Le début de la carrière de Paul

« Hey Nicolas remets une tournée de ton  “Tu-sais-quoi” ! »

Paul goguenard indique les verres de ses amis d’une main et de l’autre attrape une assiette d’anchois.

Au bar, deux hommes en uniforme de la maréchaussée affichent l’air placide de ceux qui n’ont pas entendu.

Personne n’est dupe, le fameux “Tu sais quoi” est le pastis local que fabrique Nicolas, le patron. Un alcool interdit depuis l’arrêté de 1915 pris à l’époque pour stopper les ravages de l’absinthe autrement appelé la fée verte.

Mais à Marseille si tout le monde n’est pas sorcier comme Espanet, chaque tenancier y va de sa propre recette. 

Hors de question pour les marseillais de se priver de ce mélange de fenouil, graines d’anis,réglisse et de l’eau-de-vie de marc qu’ils affectionnent tant. 

L’arrêté est un malentendu du gouvernement et n’importe quel ministre qui descendrait sur la canebière pour boire un pastis le lèverait aussitôt.

Les marseillais en sont sûrs.

Paul lui assure déjà les livraisons de vin, le matin, pour son père alors qu’il n’a pas encore arrêté l’école.

Saint-Loup, la bourbonnière, l’Estaque, il connaît chaque quartier de Marseille par cœur, chaque terrasse de café. 

À Marseille, il absorbe la folle énergie de la ville avant de retourner par le tramway dans le silence apaisé du soir à Sainte Marthe.

Dans sa tête les choses vont à toute vitesse. Chaque jour, il se repasse cette journée au Mas de l’Espanet et la découverte du pastis du vieux sorcier.

Il se rappelle, lui l’adolescent gauche, avoir dansé de joie moins enivré par l’alcool que par le goût de l’anis relevé par le réglisse.

La mer allée avec le soleil.

Depuis et malgré les rires des adultes, sa résolution ne l’a pas quittée. Il veut faire son propre pastis.

Mais le poète est aussi un homme pragmatique.

Sa pratique des cafés lui fait vite comprendre que c’est la clientèle qui fait le succès d’une boisson.

Paul n’a de cesse de regarder les clients consommés, d’étudier leurs goûts, leurs préférences. 

Et le soir après les livraisons, il s’enferme dans sa chambre, souvent avec son frère Pierre pour créer l’élixir dont il rêve.

À côté de son lit trône un alambic artisanal et posé sur son bureau une paillasse de chimiste.

Il distille jusque tard dans la nuit du vin pour en extraire l’alcool et ajoute les graines d’anis et le réglisse. 

Une méthode artisanale et empirique.

Mais aussi une méthode dangereuse.

« Hé bé, mon fils quelle tête ce matin tu as les cheveux roussis comme si tu avais couché avec le diable. »

« Oui maman, j’ai mal réglé le gaz pour chauffer l’eau de la douche et j’ai pris un mauvais retour de flamme ! »

« Oh Joseph, cette gazinière est une calamité, il faudra la changer, regarde la tête de ton fils ! »

« Je crains fort ma chérie que c’est l’obstination que ton fils a dans la tête qu’il faudrait changer… »

Mais Joseph sait que c’est impossible. Il a bien vu comment son fils lui a forcé la main pour arrêter les études, malgré son désir de lui faire faire une école de commerce.

Paul lui continue, rivé à son idée et à sa nouvelle devise.

Nul bien sans peine.

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Test, lancement du pastis Ricard

Paul, l’œil humide, regarde la petite maison en pierre plantée au milieu du vignoble. On dirait la maison de l’Espanet. Aucun détail ne manque.

Il sourit, fier de l’étiquette de son premier vin, le « Canto-Agasso » qu’il a dessiné lui-même.

La mise sur le marché s’avère plus compliquée. Si quelques patrons de bars en commandent prêt à essayer pour faire plaisir aux Ricards, père et fils, ils n’en reprennent pas.

« Té, tu vois Paul, ton vin je l’aime bien mais je ne le vends pas ! »

« Mais pourquoi Marius,  le prix est bon pour cette qualité ! »

« Bé Paul, je vais te dire la vérité. Il est encore trop cher pour les ouvriers et les bourgeois, ma foi, et ils préfèrent se rincer la gorge avec un Bordeaux… »

Le constat est sans appel, son vin n’a pas sa place sur la table.

Qu’importe, Paul ne se laisse pas abattre. Après tout, pourquoi ne pas revenir à sa première intuition et faire un vin d’apéritif.

« Ah Paul, te voilà ! Je parlais justement aux camarades de toi ! On dégustait ton Cantagas ! »

« Moi je n’ai pas le goût du marc mais celui-là, il passe crème. »

« Oui oui oui. »

« Merci Marius et vous aussi mes amis, mais dîtes m’en plus sur, il vous plaît comment exactement ? »

Et Paul de questionner inlassablement, restaurateurs et clients pour comprendre leurs attentes.

Et si son “Cantagas” remporte seulement un succès modeste, il commence à être connu dans tous les bars de la ville. Chacun recherche la compagnie de ce négociant enthousiaste et travailleur.

Paul ne s’arrête jamais. Et en 1930, alors qu’il atteint sa majorité, il profite de son émancipation pour suivre les cours des beaux-arts de Marseille.

Il s’y rend à pied, deux fois par jour depuis les locaux de l’entreprise paternelle et parallèlement continue de chercher le Graal. 

Le pastis qui aura le goût et l’esprit de celui de l’Espanet.

Il travaille et re-travaille sa formule chaque soir et chaque après-midi avec sa nouvelle recette, il fait le tour des bars pour la faire goûter et note chaque moue, chaque remarque de ses clients. 

Le temps presse, il le sait, en cette année 1932, une rumeur court dans Marseille qui pourrait bien changer la donne du marché des apéritifs.

Le gouvernement français a décidé de lever l’interdiction des boissons de plus de quarante-cinq degrés. D’ores et déjà les plus grands limonadiers comme Casanis, Berger, Janot ou Pernod se préparent à inonder le marché de boissons apéritives.

« Papa, il parle même de la légalisation du Pastis aux actualités du cinéma ! »

« Oui Paul, je m’en doute mais nous ne sommes pas de taille pour affronter la concurrence ! Nous n’avons même pas le matériel de distillation nécessaire ! »

Las, Joseph, une fois de plus, est obligé de se faire une raison, son fils ne renonce pas. Il lui donne alors 600 litres d’alcool et Paul achète à Pernod les trois foudres à absinthe nécessaires à la fabrication de son élixir. Quant à son frère Pierre, réquisitionné il s’occupe de la facturation et des livraisons.

Alors que la petite entreprise artisanale se lance, toute la famille a en tête la sortie exaltée de Paul quelques semaines plus tôt quand il a fallu trouver un nom à sa boisson :

“ Ce sera Ricard, le vrai pastis de Marseille “ 

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Un succès foudroyant et 2 tragédies pour Paul

1932 – Sainte Marthe.

Paul fait installer de nouvelles cuves de macérations et une embouteilleuse.

Le succès de son Pastis est exponentiel, loin des prévisions pessimistes de son père. Ce dernier face au succès a même accepté d’acheter le terrain qui jouxte ses entrepôts pour s’agrandir.

C’est une petite usine qui tourne maintenant sur les hauteurs de Sainte Marthe.

Après huit mois de commercialisation, ce sont déjà  250 000 bouteilles de pastis Ricard qui sont distribuées. L’équipe familiale s’est aussi agrandie et désormais huit salariés travaillent avec eux.

Paul et Joseph n’ont de cesse d’arpenter le pavé marseillais pour convaincre les patrons de cafés. Leur pastis se vend bien et la fameuse proportion cinq dose d’eau, une dose de pastis le rend très rentable pour les cafetiers. Si une bouteille d’apéritif tire au maximum vingt verres, celle des Ricard en tire cinquante !

Paul est partout et applique dans tous les domaines de son entreprise le dicton de son instituteur.

Nul bien sans peine.

Et de la peine il s’en donne et les années qui suivent le récompensent.

1934, le pastis Ricard de Paul est vendu jusqu’à Lyon.

1936, deux parisiens, un verre de jaune à la main, s’amusent à parodier la publicité de la firme marseillaise.

« Hé, hé tu y as pris goût toi aussi à notre Ricard. »

Paris n’est pas encore conquis mais il est déjà courtisé. 

Paul, l’artiste des beaux-arts, a compris l’importance de l’image. À travers ses affiches, ses brocs aux couleurs du Ricard, il ne vend plus un apéritif mais un art de vivre.

1937

Paul rayonne au bras de Marie-Thérèse, la femme qu’il vient d’épouser. Le bonheur conjugal vient couronner cinq années de réussite entrepreneuriale.

1937, c’est aussi l’année où son père, son mentor, meurt à seulement cinquante deux ans.

Paul n’en a que vingt-sept.

Si le fils est dévasté, l’entrepreneur a bien peu temps pour le chagrin.

Il faut livrer, il ne peut se permettre d’être en rupture de stocks et de briser la confiance que ses clients ont mise en lui et son père.

Les liquidités manquent, les avoirs de Joseph sont bloqués dans l’attente de la succession. Sans son père, les banquiers ne lui font plus la même confiance. 

Paul prend le taureau par les cornes et exige le paiement en liquide de toutes les livraisons qui n’ont pas encore été payées.

Et c’est un jeune homme déterminé qui rentre quelques jours plus tard dans le hall de la banque de France avec 500 000 francs en liquide et un revolver à la ceinture pour assurer sa sécurité.

Paul continue de réorganiser son entreprise avec l’aide et le soutien sans faille de sa famille.

« Paul, c’est Marie-Thérèse, il faut que tu viennes tout de suite à Sainte-Marthe. »

« Chérie, que se passe t-il ? »

« Il s’agit de ton frère, Pierre. Il est mort. »

Après son mentor, Paul vient de perdre son confident de toujours.

Une page se tourne. 

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Un nouveau départ et la bataille avec Pernod

« Bonjour maître, merci d’être venu aussi vite ! »

« C’est normal Paul, j’admirais beaucoup votre défunt père. »

« Maître, je vais être directe, je ne veux plus subir les déboires que nous avons eu lors de sa disparition. Je veux que notre société familiale devienne une société anonyme : les distilleries Ricard ! »

Quand l’avocat d’affaire sort du bureau de Paul, il a en tête la structure que Paul lui a demandé de mettre en place.

Quatre mille actions dont la moitié pour Joséphine, la mère de Paul. Le reste pour son fils et une partie, plus étonnamment réservé aux salariés de l’entreprise. Quelle drôle d’idée pense l’avocat, décidément le père du jeune homme est parti trop vite.

Paul, lui, est persuadé que la performance de l’entreprise dépend de ses salariés. Il en nomme même sept au conseil d’administration de l’entreprise. Il développe une véritable politique sociale et leur offre même trois semaines de congés payés, au lieu des deux réglementaires.

La suite lui donne raison, l’entreprise connaît un succès florissant.

1938

Le gouvernement passe la limite légale de la teneur d’alcool du pastis à quarante-cinq degrés.

Paul peut enfin offrir à ses clients la recette originale de son pastis tel qu’il l’a conçu.

Anisé sans être trop sucré, léger sans être noyé.

Et Paul compte bien sur la vague sudiste qui balaye la France avec des chanteurs comme Tino Rossi, par exemple, pour inonder le marché français.

À l’instar de Coca-cola, il a bien compris que c’est la publicité qui fera son succès.

Si Paris connaît son pastis, il a fort à faire avec ses concurrents et notamment Pernod.

Pour Paul, sa boisson doit porter l’image de sa ville.

Il engage un peintre en lettres, décline sa marque dans une multitude d’accessoires et transforme ses camions de livraison en placard publicitaire.

Partout il affiche son nouveau slogan.

« Ricard, le vrai pastis de Marseille ».

Une concurrence qui agace les autres limonadiers qui ont vu les années passant l’outsider devenir un véritable challenger.

Et c’est une nouvelle formule publicitaire qui emporte définitivement la partie.

“ Garçon, un Ricard ” sonne la fin de l’hégémonie de Pernod sur Paris.

Mais bientôt résonne un nouveau son de cloche.

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La guerre

« Cher monsieur le directeur, la présence allemande et la morosité ambiante n’arrangent pas nos affaires. Nos ventes baissent et si elle ne s’effondrent pas encore,  c’est dû à la puissance de notre marque, je vous prie d’agréer, monsieur le directeur, etc. « 

Paul reçoit cette lettre sur son lieu de mobilisation, cela fait plusieurs mois qu’il gère à distance ses six cent salariés.

Dans un dernier geste bravache, il a rejoint le front avec un camion aux couleurs bleu et jaune de son pastis.

Le capitaine de son régiment en a fait son bureau. Paul, lui, occupe son désoeuvrement en passant de longues heures à peindre dans la nature.

Il porte depuis toujours une profonde aversion à la logique militaire qui entrave l’homme d’action qu’il porte en lui.

De son service militaire, il garde de solides inimitiés.

Des années plus tard, le capitaine Campocasso reconvertit dans la limonade refusera de servir le pastis du soldat Ricard.

Mais pour l’instant le directeur d’usine essaye tant bien que mal de gérer à distance ses affaires.

Pendant que les hommes battent la campagne, à Sainte Marthe, la mère de Paul et les autres femmes ont pris la relève pour faire tourner l’usine.  Fabrication, livraison et gestion, elles assurent toutes les tâches.

22 juin 1940.

La France est séparée en deux avec l’armistice et Paul renvoyé dans le civil.

23 août 1940 

« Le gouvernement vient de promulguer au journal officiel une loi interdisant formellement la fabrication, la commercialisation et la consommation de toute boisson titrant plus de 16 degrés d’alcool dans toute la France. Avec cette loi, il s’agit de lutter contre le fléau de l’alcoolisme largement responsable de l’état moral de la France. »

« Ah monsieur Paul, quel gouvernement de félon, Ricard est perdu ! »

« Il ne s’agit pas d’un malentendu cette fois mais d’une attaque contre Marseille ! »

Le visage de Paul se crispe, dans un geste anxieux il saisit l’assise de sa chaise comme s’il voulait la broyer.

C’est tout ce bar de l’Estaque qui semble se noyer.

Une fois l’émotion passée, Paul se reprend. Lui, le responsable de plusieurs centaines de salariés ne peut pas laisser son usine couler. 

Il ne faut pas plus de deux jours pour qu’il mette en place un plan B. Ricard va produire du Vermouth et puis du jus de fruit s’il le faut. La France exsangue a besoin de ressource, alors s’il le peut il produira aussi de l’essence avec son alcool.

Il a pourtant conscience que cela ne suffira pas.

Un soir, il réunit ses salariés, les mines sont graves et même lui, contrairement à son habitude, affiche un air solennel. 

« Messieurs, Mesdames,  je sollicite votre attention, j’ai une annonce à vous faire. Vous vous demandez ce que nous allons devenir. Je viens vous apporter la réponse. »

Nous allons devenir paysans.

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Épilogue

« Antonin » dit le momo, regarde avec stupéfaction, ses mains, pleines du cambouis de l’embouteilleuse. 

Mais après tout pourquoi pas, la terre s’y déposera de la même manière que la graisse des machines.

Si monsieur Paul lui montre comment faire, alors il lui fait confiance, il deviendra paysan. 

Dans l’usine pourtant c’est l’incrédulité qui domine au fur et à mesure que Paul détaille son plan.

Il parle de la Camargue, de sa propriété de Méjanes, de la guerre, des bouches et des familles à nourrir.

« Si la guerre se poursuit, alors il faudra nous nourrir et nourrir la France. Oui, la Camargue est une terre inhospitalière, une terre sauvage dominée par les marais et le sel. Pourtant le domaine de Méjanes dont je vous parle a vu pousser de la betterave sucrière pendant la grande guerre.  Nous allons d’abord devenir maçons pour nous loger et loger notre bétail, éleveurs pour produire lait et viande, et agriculteurs pour tirer le maximum de la propriété de Méjanes. »

Et c’est ce qu’il se passe. Paul s’organise entre Méjanes où il fait pousser du riz et sa source de Plestin en Ardèche où il met de l’eau de source en bouteille.

L’homme a su construire une entreprise pendant la décennie noire, celle d’après le krach de 1929. 

Quinze ans plus tard, au sortir de la guerre, il exploite vingt hectares de rizière et produit 60 tonnes de riz.

Paul crée avec son domaine de Méjanes, un monde ex nihilo avec une école, des logements. 

Il a réussi à s’occuper de ses salariés. Maintenant, il doit récupérer son usine.

Et ça, c’est une autre histoire.

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Notes

Paul Ricard : Le fabuleux destin d’un enfant de Marseille – Robert Murphy