Le podcast sur Jacques Saadé, le fondateur de CMA-CGM
La biographie de Jacques Saadé
- 1937: Naissance de Jacques Saadé à Beyrouth, au Liban
- 1971: Jacques Saadé quitte la Syrie avec sa femme Naïla
- 1978 : Jacques Saadé quitte Beyrouth et s’installe à Marseille où il fonde la Compagnie Maritime d’Affrètement (CMA).
- 1983 : CMA lance sa première ligne de conteneurs reliant Marseille à Beyrouth.
- 1996 : CMA acquiert la Compagnie Générale Maritime (CGM), une autre compagnie maritime française, et devient CMA CGM.
- 2000 : CMA CGM se développe rapidement et devient l’une des principales compagnies maritimes mondiales.
- 2010 : Jacques Saadé est nommé Chevalier de la Légion d’honneur en France.
- 2011 : Inauguration de la tour CMA-CGM, l’oeuvre de Jacques Saadé, une tour de 147 mètres
- 2017 : Jacques Saadé démissionne de son poste de PDG de CMA CGM mais reste président du conseil d’administration.
- 2018 : Jacques Saadé décède le 24 juin à l’âge de 81 à Marseille
L’histoire de Jacques Saadé résumée
Jacques Saadé est un homme qui traverse tout pour fonder CMA-CGM.
Né en 1937 à Beyrouth, il passe toute sa jeunesse en Syrie. Son père est un entrepreneur accompli qui possède des usines d’huile d’olive et de savon. La famille Saadé est une institution en Syrie.
Jacques fait des études à Londres puis un stage à New York dans une société de transport maritime où il découvre les porte-conteneurs et les conteneurs.
Mais la mort prématurée de son père le rappelle en Syrie où, en tant qu’aîné, il reprend la business familial.
Mais le début des années 70 et la prise de pouvoir de Hafez El Hassad en Syrie correspond à la nationalisation des grandes industries… dont celles des Saadé. Ils se réfugient au Liban où il reprend la société de transport de son père. Mais, là encore, la guerre au Liban l’oblige à quitter le pays avec sa femme, Naïla et ses 3 enfants.
En 1978, il débarque sur le quai d’Arenc à Marseille, avec une seule valise.
Le début de l’aventure CMA, la Compagnie Maritime d’Affrètement, en septembre 1978. Avec son frère, Johnny et 4 premiers salariés, il lance une seule route: Marseille-Beyrouth.
La société se développe vite et le coup de génie de Jacques est le pari sur la Chine dès le début des années 1990.
Il est le premier occidental à amener des porte-conteneurs en Chine.
Mais tout s’accélère encore avec le rachat à l’État de la CGM, et CMA-CGM devient le 3e armateur au monde avec un chiffre d’affaires de plus d’1 milliard d’euros.
Pourtant en 2009, la CMA est au bord de la faillite et Jacques doit se battre pour ne pas céder aux exigences des banques. Il fait rentrer un actionnaire turque mais l’année suivante, la CMA est à nouveau rentable.
Jacques le savait.
La CMA-CGM devient alors une multinationale gérée par une famille, les Saadé. Tanya, Rodolphe, Jacques Junior sont tous impliqués dans la gestion de l’entreprise.
Jacques, lui, pense déjà à laisser une trace dans sa ville de Marseille. Et quelle trace ! Une tour de 147 mètres qui trône sur Marseille.
Il s’éteint le 24 juin 2018. Une aventure exceptionnelle.
Jacques Saadé – CMA-CGM : l’empereur des mers
Avril 2009 – Paris, siège de la BNP Paribas
Accueil
“Mr Saadé, entrez, le comité des directeurs de banque vous attend”
Jean-Laurent Bonnafé, DG de BNP Paribas
“Mr Saadé, merci d’être venu pour cette réunion du pool bancaire de la CMA-CGM… nous vous attendions”
Président de banque
“Mr Saadé, vous êtes trop endetté.. vous avez acheté des dizaines de bateaux avec notre argent… Cela ne peut plus continuer. Nous allons reprendre la main sur vos activités.”
Jean-Laurent Bonnafé
“Je vais aller plus loin Mr Saadé… vous devez quitter vos fonctions et vous faire refinancer en même temps…. Votre gestion de la CMA est catastrophique !
Plusieurs milliards de dettes…”
Jacques Saadé
“Messieurs…Vous ne comprenez pas le secteur maritime. Nous sommes faits de crises et de rebonds… Dans 2 ans, on aura retrouvé notre rentabilité et on pourra refinancer notre dette
Il n’est pas question que je quitte la CMA…. C’est mon projet et après avoir vécu une guerre et une nationalisation, je ne vais pas lâcher devant vous !”
Non, il ne va pas lâcher. Il ne lâchera pas.
Je vous emmène aujourd’hui sur les traces d’un entrepreneur qui a tout vécu, des guerres, des conflits familiaux mais n’a jamais lâché la barre dans la tempête, Jacques Saadé, le fondateur de la CMA-CGM. La société qu’il a créée à Marseille, SA ville.
Du Liban à Marseille
Jacques Saadé naît en 1937 à Beyrouth au Liban mais dans un famille chrétienne orthodoxe. Son père, Rodolphe Saadé fait fortune en Syrie où Jacques passe toute son enfance.
Jacques se forme à la London School of Economics à Londres puis part à New York pour un stage dans une grande entreprise de transport maritime.
On est à la fin des années 50 et Jacques découvre aussi à la télé avec la guerre du Vietnam, les conteneurs pour transporter les marchandises. Conteneurs utilisés par les troupes américaines.
Pourtant quelques mois plus tard, c’est le drame, son père meurt brutalement. Il revient quelques jours après, mais son père est déjà enterré.
Au début des années 70, pourtant, c’est un coup de massue pour la famille Saadé.
Cet après-midi là, Jacques est avec sa fiancée, Naïla, et il revient d’une visite d’un champ d’olivier.
Animateur radio
“Nous interrompons ce programme pour annoncer que le nouveau président, Hafez el-Assad, a décidé de nationaliser toutes les usines du pays pour le bien de tous. Les usines que nous allons nationaliser en premier seront celles de Rodolphe Saadé – Fils et….”
Jacques Saadé
“C’est pas possible…Qu’est-ce que c’est que ça ??”
Naïla
“Jacques, qu’est-ce qu’on fait ?”
Jacques
“On fonce à Lattaquié, notre usine principale”
Jacques
“Il faut que je récupère des affaires dans l’usine”
Le gardien de l’usine arrête la voiture.
Jacques
“Vous allez bien ! Laissez-moi entrer !”
Le gardien
“Non monsieur, vous n’entrez pas. Je regrette, vous ne pouvez plus franchir cette porte”.
C’est la fin de l’aventure syrienne pour la famille Saadé qui part pour Beyrouth.
Jacques récupère l’entreprise de transport maritime de son père et se marie avec Naïla.
Mais les Saadé se retrouvent en pleine guerre du Liban et les 3 jeunes enfants de Jacques, Tanya, Rodolphe et Jacques Junior doivent se cacher dans des abris à l’abri des bombes.
Avec 3 valises, la famille Saadé accoste sur le quai d’Arenc au port de la Joliette. Ils doivent tout recommencer de zéro.
La création de la CMA
Quand Jacques arrive à Marseille, il fait cette promesse à ces 3 enfants:
“Je vous promets que l’on ne reste que quelques jours ici et puis on repart à Beyrouth !”
Jacques et sa famille s’installent d’abord à l’hôtel Palm Beach puis dans le quartier de la Corniche à Marseille.
L’activité de la CMA se développe tranquillement en 5 ans avec plusieurs navires.
Il développe notamment de nouvelles lignes commerciales en traversant le Canal de Suez en 1983 puis en 1986, il lance une ligne reliant l’Europe du Nord et l’Asie.
Mais ce qui va faire décoller Jacques et la CMA, c’est le pari sur la Chine dès 1986 puis en 1992 avec l’ouverture d’un bureau à Shanghai.
Un pari réussi. Et plus que réussi.
En 1996, soit 18 ans après la création, la CMA, c’est 600 millions d’euros de chiffre d’affaires. Avec un développement sur l’Asie qui s’accélère.
Mais c’est un autre évènement qui propulse la CMA dans les tous premiers armateurs au monde en 1996.
Matignon, début 1996.
“Mr Saadé, le Premier ministre va vous recevoir.”
Jacques
“M. le Premier Ministre, Mr Juppé, merci de me recevoir”
Alain Juppé
“Je vous en prie, asseyez-vous, Mr Saadé. Comme vous le savez, notre compagnie maritime nationale, la CGM est en difficulté… Et nous n’avons pas l’intention de la redresser… et nous voulons donc la vendre à un partenaire industriel”
Jacques
“Oui je sais… moi ce qui m’intéresse, c’est aussi le prix que vous allez me proposer”
Alain Juppé
“Mr Saadé, avant de discuter de prix, j’aimerais avoir des garanties de votre côté et…”
Le pari est réussi. Un pari qu’il va payer cher.
Crises et problèmes pour Jacques
C’est d’abord son frère cadet qui n’apprécie pas le prix payé pour la CGM et qui, de fait, se retrouve dilué dans le capital de la société.
Son frère Johnny avec lequel il a monté la CMA au démarrage, lui à Marseille et Johnny à Beyrouth.
Un frère dont il s’éloigne au fur et à mesure des années… Un éloignement qui finit devant les tribunaux quand Johnny accuse Jacques de tromperie.
Mais c’est un problème mineur comparé à ce qu’il lui arrive quelques années plus tard.
Jacques est ambitieux et se lance alors dans la construction de bateaux et notamment de gros bateaux qui permettent d’optimiser le transport et de faire baisser le coût du fret.
Alors il emprunte à tour de bras pour payer ces bateaux dans des chantiers navals en Corée qui mettent plusieurs années à être construits.
Pas moins de 72 banques lui prêtent plusieurs milliards d’euros.
Jean-Laurent Bonnafé
“Je vais aller plus loin Mr Saadé… vous devez quitter vos fonctions et vous faire refinancer en même temps…. Votre gestion de la CMA est catastrophique !
Plusieurs milliards de dettes…”
Jacques Saadé
“Messieurs… vous ne comprenez pas le secteur maritime. Nous sommes faits de crises et de rebonds… dans 2 ans, on aura retrouvé notre rentabilité”
Jacques doit pourtant lâcher du lest sous la pression.
Malgré tout, les banques parisiennes veulent la tête de l’entrepreneur marseillais.
Il ne cède pas et s’accroche.
L’année suivante, comme il l’avait prévu, la CMA-CGM fait 1 milliard de dollars de bénéfices. Le DG extérieur est viré sans ménagement.
Mais Jacques n’a pas oublié ces banquiers qui ont voulu sa tête notamment quand il en recroise un lors du sommet de Davos en 2011.
Jacques
“Ah vous ici ? Je ne vous ai pas oublié depuis 2009 et ce que vous avez essayé de me faire… Et notamment de me virer de ma propre entreprise.
Excusez-vous pour ce que vous avez fait”
La banquier
“Bon, bon… ça arrive”
Mais le banquier ne s’excuse pas. Jacques est rancunier et n’oubliera jamais.
En attendant, la CMA et Jacques reprennent leur marche en avant.
La CMA-CGM, une affaire de famille
La CMA atteint en 2013 la barre symbolique des 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Entretemps, Jacques a négocié avec Vincent Bolloré le rachat de sa compagnie maritime, la compagnie Delmas, très active sur l’Afrique puis en 2017, le singapourien Neptune Orient Lines.
Mais une multinationale gérée comme une entreprise familiale. Car la CMA-CGM est avant tout une entreprise détenue par le clan Saadé.
C’est d’abord ses 3 enfants, Tanya, Rodolphe et Jacques Junior mais aussi son beau-frère, Farid Salem, qui est avec Jacques depuis les débuts en 1978. Sa femme, Naïla, quant à elle, dirige la fondation de l’entreprise.
Et tout ce petit monde se retrouve tous les dimanche dans la maison familiale après un bon repas et une balade sur la Corniche, un quartier marseillais de bord de mer.
Jacques
“Tanya, tout est prêt pour l’inauguration du Jules Vernes ?”
Tanya
“Oui papa… j’ai tout préparé pour la semaine prochaine. Les journalistes sont très contents avec leur sujet “le plus grand porte conteneur au monde” et en plus avec la présence du président Hollande, on fait le plein…”
Jacques
“Et toi Rodolphe, tu as pu revoir le développement des nouveaux ports en Asie ?”
Naïla
“Jacques, arrête de les embêter… on va tous se retrouver dans 30 min à la maison pour travailler… profitons de cette balade !!”
Et donc comme tous les dimanches, le clan Saadé se retrouve dans la maison familiale pour traiter tous les sujets ensemble.
Naïla
“Jacques, tu devrais raconter ta vie dans un livre ! On a connu tellement d’histoires depuis la Syrie…”
Jacques
“Naïla, les livres, c’est fait pour finir dans une bibliothèque… on ne les lit jamais. Moi, ce que je veux, c’est faire ma tour !”
Naïla
“Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?”
Jacques
“Construire un bâtiment qui me ressemble et qui représentera la CMA”
147 mètres, le bâtiment tout en verre domine Marseille.
Désormais, Jacques a son “livre”, il a son héritage. Il peut passer la main.
Épilogue: la fin du Tycoon des mers
En 2016, à 79 ans, Jacques Saadé cède la main à son fils Rodolphe puis lui laisse même les fonctions de président en 2017.
Son empire est désormais entre de bonnes mains.
Il a sa tour, ses enfants et ses petits-enfants.
Sa famille l’entoure plus que jamais.
Mais il continue de venir au bureau jusqu’à sa mort le 24 juin 2018.
Le capitaine de bateau s’en est allé.
« Marseille est belle et la mer ressemble un peu à celle de Beyrouth. Tous les jours, je disais aux enfants : “On repart bientôt.” »
Il ne sera jamais parti.
Et ça, c’est une autre histoire.
Notes
https://www.lepoint.fr/economie/cma-cgm-le-rayon-de-soleil-marseillais-02-09-2021-2441209_28.php
https://www.lesechos.fr/2018/06/transport-maritime-cma-cgm-perd-son-fondateur-jacques-saade-997340
https://fr.wikipedia.org/wiki/Rodolphe_Saad%C3%A9
https://www.challenges.fr/entreprise/jacques-saade-est-il-immortel_301729